Source: Sciences Humaines > Anthropologie.
L'idée de transmettre une culture est souvent comprise comme une opération de reproduction à l'identique de ce que l'on a soi-même reçu. Cependant, cette signification ne retient qu'une partie des phénomènes observés dans les sociétés humaines.
QU'EST-CE QUE LA TRADITION ?
Une tradition désigne une pratique ou un savoir hérité du passé, répété de génération en génération. On attribue souvent aux traditions une origine ancestrale et une stabilité de contenu. L'historien Eric Hobsbawm a souligné, en 1983, l'ancienneté souvent faible des traditions nationales ou populaires (quelques dizaines d'années) et montré que leurs contenus pouvaient avoir subi des changements importants. En effet, les traditions ne sont surtout pas des routines quelconques (telles que se lever le matin et se coucher le soir), mais des savoirs ou des actes porteurs de valeur et de signification pour un groupe humain particulier.
L'étiquette « traditionnel » appliquée à des objets, des arts, des récits, des cérémonies, ou des recettes de cuisine, a le pouvoir de jeter un voile sur leur passé et de les instituer comme symboles auxquels s'identifier. Une tradition est, selon Gérard Lenclud, « un morceau de passé taillé à la mesure du présent ».
TRANSMISSION ORALE, TRANSMISSION ÉCRITE
Il existe aujourd'hui encore des sociétés dont les cultures ne se transmettent qu'oralement. Des civilisations se sont développées sans écriture. Un élément de culture orale ne comporte pas de « version standard » : à chaque performance, des changements peuvent intervenir. D'autre part, la mémoire humaine ne permet pas de prendre une vue simultanée d'un ensemble important d'énoncés.
L'écriture, en revanche, amène d'autres possibilités :
- celle d'archiver des informations hors mémoire et donc de libérer celle-ci ;
- celle de fixer un contenu et de percevoir les changements qu'on lui apporte, et donc de distinguer un « texte original » de son « commentaire » ;
- celle de réorganiser le savoir, de le classer autrement,
- celle d'isoler un énoncé de son contexte et de son énonciateur.
Des psychologues ont réfuté l'idée que l'écrit induise (ou résulte) des compétences intellectuelles différentes de l'oral. Carol Feldman a soutenu que dans les cultures orales, la réflexion sur le texte était aussi bien pratiquée.
Au cours du XXème siècle les sciences humaines se sont élargies vers les effets de la transmission culturelle. Ce mouvement s'est épanoui au cours des années30, avec les travaux de Margaret Mead (1901-1978) et de Ruth Benedict (1887-1948), qui attribuèrent à la socialisation précoce des enfants le pouvoir de forger des personnalités conformes à un certain modèle culturel (« pattern »), particulier à chaque société. Cette théorie ne rendait toutefois pas compte du fait qu'une culture n'est pas entièrement intériorisée, et qu'elle connaît des contradictions, des innovations et des emprunts.
Selon A. Kardiner, les institutions primaires (famille…) sont celles qui forgent la « personnalité de base », les dispositions psychologiques propres à une société. Les institutions secondaires (loi, religion), elles, représentent en quelque sorte l'idéologie d'une société, qui en général est en accord avec la « personnalité » qui va avec. Toutefois, cette idéologie peut-être transmise sans être intériorisée : nous pouvons prendre connaissance de la philosophie présocratique sans devenir des Grecs du Ve siècle.
Cette relative autonomie rend compte du fait que des éléments de culture peuvent circuler, être intégrés à d'autres cultures, sans pour autant les transformer de fond en comble.
jeudi 11 février 2010
mercredi 10 février 2010
La culture de Masse en Inde
Sciences Humaines
Pleinement impliquée dans le processus de mondialisation, l'Inde voit désormais déferler chez elle, parmi divers produits, les séries télévisées américaines et les films hollywoodiens, qui connaissent un succès fulgurant avec l'essor de la télévision câblée et des salles de cinéma. Dans ce pays encore traditionnel, où les mariages arrangés par les familles sont la règle, comment ont été perçus ces produits culturels, porteurs des valeurs occidentales ?
80 % de la population est bien trop pauvre pour être concernée par ces changements économiques et culturels. En revanche, les 3 % d'Indiens les plus riches, qui ont profité économiquement de la mondialisation, obtenu des postes à haut salaire et parlent anglais, se sont eux totalement acculturés au mode de vie occidental tel qu'il est véhiculé par ces nouveaux produits de la culture de masse (consommation, mode, minceur...).
La classe moyenne, étant donnée sa situation sociale, a, elle, une perception sélective de ces contenus. Elle n'a pas autant profité de la mondialisation sur le plan économique. Ses membres ne possèdent pas la maîtrise de l'anglais et les contacts qui leur permettraient de s'intégrer dans la nouvelle économie, et achètent peu de produits étrangers. Les hommes y restent dépendants de leurs parents sur le plan financier dans les premières années du mariage, et conservent une vision traditionnelle du rôle de la femme, qu'ils préfèrent voir travailler à la maison plutôt que dans des emplois mal payés. S'ils se sont donc, eux aussi, largement ouverts aux médias occidentaux (les femmes de la classe moyenne restant largement à l'écart de cette nouvelle culture), ils rejettent le modèle du mariage d'amour qui y est véhiculé, et n'acceptent de la culture de masse que ce qui les conforte dans leur position dominante et leurs privilèges, comme les films d'action, la pornographie ou les beaux costumes, qu'ils consomment massivement. Les nouvelles images de la culture de masse n'auront donc fait ici que consolider de vieilles traditions.
Clara
Pleinement impliquée dans le processus de mondialisation, l'Inde voit désormais déferler chez elle, parmi divers produits, les séries télévisées américaines et les films hollywoodiens, qui connaissent un succès fulgurant avec l'essor de la télévision câblée et des salles de cinéma. Dans ce pays encore traditionnel, où les mariages arrangés par les familles sont la règle, comment ont été perçus ces produits culturels, porteurs des valeurs occidentales ?
80 % de la population est bien trop pauvre pour être concernée par ces changements économiques et culturels. En revanche, les 3 % d'Indiens les plus riches, qui ont profité économiquement de la mondialisation, obtenu des postes à haut salaire et parlent anglais, se sont eux totalement acculturés au mode de vie occidental tel qu'il est véhiculé par ces nouveaux produits de la culture de masse (consommation, mode, minceur...).
La classe moyenne, étant donnée sa situation sociale, a, elle, une perception sélective de ces contenus. Elle n'a pas autant profité de la mondialisation sur le plan économique. Ses membres ne possèdent pas la maîtrise de l'anglais et les contacts qui leur permettraient de s'intégrer dans la nouvelle économie, et achètent peu de produits étrangers. Les hommes y restent dépendants de leurs parents sur le plan financier dans les premières années du mariage, et conservent une vision traditionnelle du rôle de la femme, qu'ils préfèrent voir travailler à la maison plutôt que dans des emplois mal payés. S'ils se sont donc, eux aussi, largement ouverts aux médias occidentaux (les femmes de la classe moyenne restant largement à l'écart de cette nouvelle culture), ils rejettent le modèle du mariage d'amour qui y est véhiculé, et n'acceptent de la culture de masse que ce qui les conforte dans leur position dominante et leurs privilèges, comme les films d'action, la pornographie ou les beaux costumes, qu'ils consomment massivement. Les nouvelles images de la culture de masse n'auront donc fait ici que consolider de vieilles traditions.
Clara
lundi 1 février 2010
L'intégration des immigrés : un modèle européen qui se cherche
Auteur:Lydie Fournier.
Source: Sciences Humaines, Anthropologie, juin 2009.
L’Europe veut assimiler ses immigrés. Mais comment ? Dans chaque État, les nouvelles dispositions législatives oscillent entre muticulturalisme et assimilationnisme.
Nouveau passage obligé des candidats à l’immigration en France : l’apprentissage de La Marseillaise. Hautement symbolique, cette mesure est une nouvelle disposition du contrat d’accueil et d’intégration que doit signer depuis 2006 tout arrivant sur le territoire. Elle s’inscrit dans les décisions prises à Vichy en novembre dernier, à l’occasion de la conférence européenne sur l’intégration des immigrés, réunissant les ministres de l’immigration de chaque État membre. L’acquisition et la maîtrise de la langue du pays d’accueil, la connaissance des valeurs de la société européenne et l’accès à l’emploi ont constitué les trois axes majeurs de la rencontre, confirmant la volonté européenne d’une certaine conformité culturelle des candidats à l’immigration. Cette politique s’illustre à travers l’institution, surtout ces cinq dernières années, de plusieurs instruments législatifs sur le continent : contrats d’intégration en France, en Suisse et en Autriche, cours de langue obligatoires pour les nouveaux migrants en Allemagne et en France, tests à l’entrée aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Estonie, au Danemark, en Allemagne, etc. Commentant l’actualité de la conférence de Vichy, Haleh Chahrokh, chercheuse sur l’Europe occidentale à Human Rights Watch, déclare que « les politiques d’intégration basées sur la discrimination risquent d’aliéner les migrants au lieu de favoriser leur intégration ». Dans le même état d’esprit, le philosophe Jean-Claude Monod s’interroge sur le sens de politiques d’intégration qui, loin d’une conception de l’intégration comme « processus social produit par l’immersion dans le pays d’accueil », réclament que les candidats soient en quelque sorte déjà intégrés avant même de s’installer sur le territoire. Serait-ce la fin du « multiculturaisme » qui respecte les différences culturelles, et le début d’un lien social fondé sur l’assimilation des minorités ethniques dans la société majoritaire ?
Symbole du multiculturalisme européen, la Grande-Bretagne a développé des politiques de gestion communautaire et d’égalité des chances, telles que le contrôle de la représentation des minorités ethniques dans l’emploi public. Allant plus loin encore dans la défense des particularismes culturels, les Pays-Bas se sont longtemps caractérisés par un système social dit « des piliers », selon lequel chaque confession dispose d’une organisation sociale propre favorisant l’entre-soi, et d’une série d’institutions communautaires (écoles, associations, médias, etc.) financées par l’État. Aujourd’hui en Grande-Bretagne, les subventions publiques des associations concernent prioritairement celles soucieuses de générer un pont entre les différentes composantes ethniques de la société.
Toutefois, au-delà de tendances nationales en faveur d’un modèle ou de l’autre, « l’intégration est partout et toujours un mélange d’assimilation et d’accommodation de la diversité culturelle », comme le souligne Jean-Claude Monod. Dans le contexte de l’après 11 septembre, convoquer la force symbolique de La Marseillaise ou souligner la distance culturelle de la Turquie à l’Europe procèdent du même processus : faire émerger une unité culturelle supposée, et générer une nouvelle forme de liant social et identitaire. Prôner l’assimilation constituerait alors, en partie, une ressource identitaire et politique à disposition d’institutions nationales et européennes en quête de légitimité.
Source: Sciences Humaines, Anthropologie, juin 2009.
L’Europe veut assimiler ses immigrés. Mais comment ? Dans chaque État, les nouvelles dispositions législatives oscillent entre muticulturalisme et assimilationnisme.
Nouveau passage obligé des candidats à l’immigration en France : l’apprentissage de La Marseillaise. Hautement symbolique, cette mesure est une nouvelle disposition du contrat d’accueil et d’intégration que doit signer depuis 2006 tout arrivant sur le territoire. Elle s’inscrit dans les décisions prises à Vichy en novembre dernier, à l’occasion de la conférence européenne sur l’intégration des immigrés, réunissant les ministres de l’immigration de chaque État membre. L’acquisition et la maîtrise de la langue du pays d’accueil, la connaissance des valeurs de la société européenne et l’accès à l’emploi ont constitué les trois axes majeurs de la rencontre, confirmant la volonté européenne d’une certaine conformité culturelle des candidats à l’immigration. Cette politique s’illustre à travers l’institution, surtout ces cinq dernières années, de plusieurs instruments législatifs sur le continent : contrats d’intégration en France, en Suisse et en Autriche, cours de langue obligatoires pour les nouveaux migrants en Allemagne et en France, tests à l’entrée aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Estonie, au Danemark, en Allemagne, etc. Commentant l’actualité de la conférence de Vichy, Haleh Chahrokh, chercheuse sur l’Europe occidentale à Human Rights Watch, déclare que « les politiques d’intégration basées sur la discrimination risquent d’aliéner les migrants au lieu de favoriser leur intégration ». Dans le même état d’esprit, le philosophe Jean-Claude Monod s’interroge sur le sens de politiques d’intégration qui, loin d’une conception de l’intégration comme « processus social produit par l’immersion dans le pays d’accueil », réclament que les candidats soient en quelque sorte déjà intégrés avant même de s’installer sur le territoire. Serait-ce la fin du « multiculturaisme » qui respecte les différences culturelles, et le début d’un lien social fondé sur l’assimilation des minorités ethniques dans la société majoritaire ?
Symbole du multiculturalisme européen, la Grande-Bretagne a développé des politiques de gestion communautaire et d’égalité des chances, telles que le contrôle de la représentation des minorités ethniques dans l’emploi public. Allant plus loin encore dans la défense des particularismes culturels, les Pays-Bas se sont longtemps caractérisés par un système social dit « des piliers », selon lequel chaque confession dispose d’une organisation sociale propre favorisant l’entre-soi, et d’une série d’institutions communautaires (écoles, associations, médias, etc.) financées par l’État. Aujourd’hui en Grande-Bretagne, les subventions publiques des associations concernent prioritairement celles soucieuses de générer un pont entre les différentes composantes ethniques de la société.
Toutefois, au-delà de tendances nationales en faveur d’un modèle ou de l’autre, « l’intégration est partout et toujours un mélange d’assimilation et d’accommodation de la diversité culturelle », comme le souligne Jean-Claude Monod. Dans le contexte de l’après 11 septembre, convoquer la force symbolique de La Marseillaise ou souligner la distance culturelle de la Turquie à l’Europe procèdent du même processus : faire émerger une unité culturelle supposée, et générer une nouvelle forme de liant social et identitaire. Prôner l’assimilation constituerait alors, en partie, une ressource identitaire et politique à disposition d’institutions nationales et européennes en quête de légitimité.
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