mardi 19 janvier 2010

Capital culturel et reproduction scolaire.

Article: Capital culturel et reproduction scolaire.
Auteur : Gérard Mauger.
Source : Sciences Humaines, Dossier : « qu’est-ce que transmettre ? »
Résumé:
Malgré la massification de l'enseignement, l'accès aux titres scolaires est encore lourdement dépendant de l'héritage culturel familial.
En 1892, Émile Durkheim s'était hasardé à prophétiser, dans un cours sur « la famille conjugale », le dépérissement de l'héritage, la disparition des « liens qui dérivaient des choses » au profit de « ceux qui venaient des personnes ». Les plus grands esprits peuvent se tromper. En l'occurrence, il me semble que l'« erreur » d'E. Durkheim était double. D'une part, il sous-évaluait l'importance de l'héritage économique, qui ne s'est jamais démentie en dépit de l'extension du salariat : « En l'an 2000, l'ouvrier - tout comme son (sa) collègue employé(e) - gagne 2,5 fois moins qu'un cadre ; » quant aux patrimoines, « non seulement l'écart entre les ouvriers et les cadres est béant, mais l'écart entre les cadres susceptibles d'espérer une ascension patrimoniale [...] et les autres est immense ». D'autre part, E. Durkheim méconnaissait l'importance croissante prise par l'héritage culturel et les nouvelles formes d'échanges entre les générations qui en dérivent. La prolongation généralisée des scolarités a imposé peu à peu un nouveau « sentiment de l'enfance ». Mais elle a surtout profondément transformé les modes de reproduction, bien que la famille contemporaine y conserve un rôle déterminant. Alors que le patrimoine économique se transmet directement du propriétaire aux héritiers, dans « le mode de reproduction à composante scolaire », la transmission s'opère par l'intermédiaire de l'institution scolaire, qui délivre des labels de qualité selon des critères qui lui sont propres : la valeur du patrimoine familial est de plus en plus définie par le montant du capital scolaire détenu par l'ensemble de ses membres.
En matière de scolarisation, aujourd'hui comme hier, c'est l'héritage culturel lié à l'origine sociale qui explique l'essentiel des variations observées dans les parcours scolaires et, en définitive, les écarts de capital scolaire attesté par le diplôme. La croissance quantitative des diplômes n'a provoqué aucun bouleversement des ordres ni même aucune réduction des écarts, notaient Christian Baudelot et Roger Establet en 1989 . Les chances d'obtenir un bac oscillaient alors chez les garçons de 1 à 4 (18 % pour les fils d'ouvriers contre 72 % pour les fils de cadres) ; elles étaient comprises entre 1 et 3 pour les filles (27 % pour les filles d'ouvriers et 81 % pour les filles de cadres).
Mais la nature même du capital culturel fait que sa transmission d'une génération à l'autre soulève d'autres problèmes que celle du capital économique. Le capital culturel défini par Pierre Bourdieu existe sous trois formes : « à l'état incorporé », c'est-à-dire sous la forme de dispositions durables de l'organisme (à commencer par la docilité, soit, étymologiquement, la disposition à se laisser instruire) ; « à l'état objectivé », sous la forme de biens culturels (bibliothèques, discothèques, médiathèques, etc.), et « à l'état institutionnalisé », sous la forme, pour l'essentiel et pour la période contemporaine, du titre scolaire. Le capital culturel, qui disparaît avec la mort de son détenteur, ne peut pas être transmis instantanément par le don ou la transmission héréditaire, l'achat ou l'échange. Il exige un travail d'inculcation et un travail d'assimilation, travail du sujet sur lui-même qui coûte du temps : il se cultive. A la différence du capital économique, celui qui le transmet ne s'en défait pas et il peut le transmettre plusieurs fois au cours de son existence.
De ces propriétés du capital culturel, on peut déduire quelques aspects des modalités de sa transmission d'une génération à l'autre, c'est-à-dire aussi des rapports entre générations à l'intérieur de l'unité domestique. Les stratégies de reproduction des familles dont le patrimoine est à dominante culturelle et qui visent, comme les autres familles, à sauvegarder ou à améliorer leur position dans l'espace social, impliquent la transmission la plus précoce possible de ce patrimoine à chacun des enfants. Elle s'opère, pour l'essentiel, en dehors de toute volonté explicite de le transmettre, par l'effet éducatif qu'exerce le capital culturel objectivé intégré à l'environnement familial et par toutes les formes de transmission implicite liées à l'usage de la langue, qui contribuent à la construction sociale des habitus.
De façon générale, les parents peuvent agir en créant le meilleur environnement extrascolaire possible pour leurs enfants, en recherchant la meilleure stratégie de placement dans le dédale des filières, des établissements et des options, quitte à devoir se mobiliser (en faveur, par exemple, de l'enseignement privé ou de l'assouplissement de la sectorisation) pour transformer l'école. Par ailleurs, certaines écoles ont pour fonction principale la validation des compétences sociales acquises dans le cercle domestique. Enfin, le diplôme n'est une condition ni nécessaire, ni suffisante de l'accès à toutes les positions dominantes, la valeur d'un individu sur le marché du travail ou sur le marché matrimonial n'étant pas fixée uniquement par la valeur du capital scolaire qu'il détient, mais dépendant aussi des ressources qui peuvent être mobilisées à travers le réseau de relations familiales : « le capital social ».

Article complet: http://www.scienceshumaines.com/capital-culturel-et-reproduction-scolaire_fr_12504.html

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