Auteur : Évelyne Ribert
Source : Sciences Humaines
On soupçonne parfois les jeunes issus de l’immigration de « ne pas aimer la France », et de ne devenir Français que pour des raisons utilitaires. Pourtant, l’enquête auprès de ces jeunes dévoile une autre réalité : un faible sentiment d’appartenance, certes, mais aussi de profondes attaches. Une attitude qui les rapproche, au fond, de la majorité des jeunes Français. Les jeunes issus de l’immigration font l’objet, depuis le début des années 1980 d’une forte suspicion. Certains soupçonnent ces jeunes dits de la « deuxième génération », nés sur le territoire de parents étrangers, de rejeter la France ou simplement de ne pas se sentir français, alors même qu’ils acquièrent la nationalité française, ne le devenant que pour des raisons utilitaires.
Une nationalité à visée égalitaire
Quelle que soit leur nationalité d’origine, les jeunes nés en France de parents étrangers acquièrent massivement la nationalité française. Au début des années 1990, seulement 8 % d’entre eux environ restaient étrangers contre 3 % à la fin des années 1990. En revanche, bon nombre d’adolescents ne pensent pas garder leur nationalité d’origine : certains veulent s’en défaire, d’autres négligent de faire les papiers qu’ils imaginent nécessaires pour la conserver ou croient ne pas pouvoir bénéficier de la double nationalité. La nationalité est dissociée de l’identité, qu’il s’agisse de la nationalité française ou de la nationalité d’origine.
Une absence d’identification à la France
Plusieurs raisons expliquent cette dissociation de la nationalité et de l’identité.
La première est que ces adolescents ignorent souvent leur nationalité jusqu’à la majorité. Si certains jeunes savent qu’ils ont la nationalité de leurs parents, beaucoup imaginent n’avoir, durant leur minorité, qu’une nationalité provisoire, « de seconde zone » : ils n’obtiendraient une véritable nationalité qu’à leur majorité. En attendant, ils se croient donc temporairement étrangers ou français. Si les jeunes peuvent ainsi ignorer leur statut national jusqu’à un âge avancé, c’est parce que celui-ci sert peu à les identifier. On les désigne communément par leur appartenance à la deuxième génération, à leur origine étrangère.
La deuxième raison est que la dimension nationale ou « ethnique » n’est qu’une des facettes de leur identité et qu’elle est loin d’être la plus importante.Contrairement aux idées reçues, ces adolescents ne souffrent pas de problèmes identitaires. Ils vivent en revanche très douloureusement le rejet dont ils peuvent se sentir victimes en France ou dans le pays de leurs parents.
Ainsi soulignent-ils que les difficultés auxquelles ils se heurtent ne proviennent nullement de pseudo-problèmes identitaires, mais de la place qui leur est accordée par la société française. Ils contestent ouvertement le bien-fondé des clivages nationaux et « ethniques » de la culture dominante.
Le refus des identitées préétablies
La dernière raison pour laquelle la nationalité et l’identité sont déliées est que ces adolescents aspirent, comme les autres, à se définir librement. Les jeunes issus de l’immigration rejettent le modèle prédéfini d’appartenance à la collectivité, où l’appartenance nationale primerait sur les autres appartenances. Ces adolescents souhaitent concilier les différentes facettes de leur identité, multiplier les affiliations et rêvent d’être reconnus tels qu’ils sont : à la fois français et d’origine étrangère.
Si ces jeunes refusent souvent de déclarer qu’ils se sentent français et ne considèrent pas l’acquisition de la nationalité française comme un changement d’identité, ceux qui pensent faire leur vie dans l’Hexagone entretiennent des liens forts avec la France. Ils ne le reconnaissent pas nécessairement, mais c’est ce qui ressort de leur discours. L’analyse des différents types de lien – affectif, culturel, politique – qu’ils entretiennent avec la France montre qu’ils ont avec l’Hexagone des attaches très profondes.la France est de fait leur pays : ils y possèdent leurs repères, ils sont souvent très liés affectivement à leur quartier, ils adhèrent aux valeurs communes, même s’ils ne le disent pas explicitement, et beaucoup affirment vouloir voter. Ils reconnaissent tous d’ailleurs être de fait français. La suspicion dont ils font l’objet n’a donc aucun fondement.
Si les jeunes issus de l’immigration cristallisent la crainte d’un affaiblissement de l’identité nationale, dans un contexte de crise économique et de chômage structurel, où celle-ci paraît menacée par la mondialisation et la construction européenne, c’est sans doute en partie parce qu’ils révèlent l’attitude des jeunes Français. De cette génération, Français et étrangers confondus, socialisée en France, qui n’a pas connu le patriotisme et se félicite de la suppression du service national, les adolescents étrangers nés en France sont les seuls, en tant que candidats à la nationalité, à devoir se prononcer sur leur appartenance nationale et donc à pouvoir dévoiler une éventuelle érosion du modèle national. Des études comparatives européennes révèlent que les adolescents résidant dans l’Hexagone n’ont qu’un faible sentiment d’appartenance nationale par rapport à leurs homologues des autres pays européens. Ainsi, le fait que les jeunes nés en France de parents étrangers n’aient pas un fort sentiment d’appartenance nationale, loin d’être un aveu d’échec, peut être vu comme le signe d’une intégration réussie.
Talia
samedi 30 janvier 2010
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